Le scandale des polluants éternels (PFAS)
12 décembre 2024Ce que nous savons est une goutte, ce que nous ignorons un océan…
L’EXISTENCE D’UN OCÉAN CACHÉ SOUS LA CROÛTE TERRESTRE
On l’a évoqué brièvement dans un précédent article, l’eau est toujours un territoire en cours d’exploration pour les chercheurs et les scientifiques, puisqu’elle n’a pas encore révélé tous ses secrets (voir à ce sujet notre article sur Les multiples embûches scientifiques de l’eau).
Cette perspective s’applique non seulement aux échelles quantiques (ainsi qu’on l’a abordé à de multiples reprises à travers la question de la « mémoire » de l’eau), mais aussi à des échelles plus massives, comme celle de la planète, avec la découverte récemment confirmée que la Terre hébergerait non pas cinq océans ainsi qu’on l’apprend sur les bancs de l’école, mais bien six.
Si ce sixième océan a échappé jusqu’à présent aux géographes, c’est parce qu’il est invisible : caché sous la croûte terrestre, à une distance moyenne de 600 kilomètres de la surface (à un niveau proche de la jonction qui sépare le manteau inférieur du manteau supérieur).
Cette découverte n’est pas sans réactiver des imaginaires de monde caché dans les profondeurs des entrailles de la Terre ; cependant la réalité est loin de correspondre à l’image que peut suggérer l’idée d’un océan caché loin de la surface : celle d’une étendue d’eau plane, similaire aux océans dont on peut admirer les étendues depuis l’espace. Car ce dernier arbore au contraire une forme… solide !
1 Quand la réalité rattrape la science-fiction…
Jules Verne est l’un des premiers auteurs à explorer l’idée d’un monde caché dans les profondeurs de la Terre, à l’insu des civilisations qui se développent à la surface. Il imagine ainsi l’existence d’un vaste océan dans son roman Voyage au centre de la Terre.
Cette idée sera reprise avec plus ou moins de bonheur par d’autres récits de science-fiction, notamment au cinéma autour des récents blockbusters mettant en scène Godzilla.
À tout le moins, il en ressort que jusqu’à tout récemment les géologues estimaient l’existence d’un tel monde, avec en particulier un océan emprisonné sous la surface terrestre, de l’ordre de la science-fiction. Car passée une certaine profondeur dans le manteau terrestre, la pression que l’on rencontre, associée aux températures qui y règnent, rendent a priori impossible que de l’eau puisse subsister.
Pourtant en 2009, l’équipe de recherche de Graham Pearson (directeur de recherche sur l’exploration des diamants à l’université d’Alberta) fait la découverte au Brésil d’un diamant tout à fait singulier, lequel se forme au niveau même de la zone de transition entre le manteau inférieur et le manteau supérieur.
Il faut savoir que les diamants constituent de véritables capsules temporelles, car ils piègent de minuscules incursions des matériaux composant le manteau en profondeur. Autrement dit, ils constituent des fenêtres sur les secrets que renferment les profondeurs de la planète.
En particulier, celui découvert par Pearson contient une inclusion de « ringwoodite » : un minéral capable d’absorber des molécules d’eau à l’état de fragments et qui rendrait possible un océan dans le manteau terrestre.
2 Un vaste océan… à l’état solide
Techniquement, la ringwoodite – qui est un polymorphe de l’orthosilicate de magnésium et de fer – est un métal rare. On l’a en effet d’abord observée dans des météorites, puis dans quelques échantillons terrestres. Elle fait partie des minéraux dits anhydres, mais elle s’avère néanmoins capable de piéger jusqu’à 2,5% de son poids en eau (à l’état de molécule structurellement modifiée OH-).
Présenté comme cela, cette découverte de l’équipe de Pearson est loin de faire rêver aux immenses étendues océaniques qui stimulent l’imaginaire ; à commencer par le fait que si océan il y a, il aurait non une forme liquide mais une forme solide, en raison de la nature du piégeage des molécules d’eau. Mais aussi par le fait que le rapport entre le métal et la quantité d’eau apparaît risible.
Toutefois, les données acquises par la pétrologie expérimentale (qui explore les mécanismes de formation et de transformation des roches) ainsi que par la sismologie indiquent que la ringwoodite constitue un composant majeur du manteau supérieur. Son abondance ferait alors qu’il existerait une quantité d’eau dans le manteau supérieure à celle de tous les océans et des mers à la surface du globe.
Cependant, il a fallu attendre une autre preuve – publiée dans la revue Nature en 2022 – pour valider cette théorie d’un océan enfoui dans la zone de transition du manteau : une pierre similaire, découverte au Bostwana, qui a été analysée par la physicienne Tinqting Gu. En effet, trouver un autre diamant présentant les mêmes particularités dans une zone géographique distincte indique que cette caractéristique d’hydratation, à ce niveau de profondeur, se retrouve vraisemblablement partout autour de la planète.
3 Une eau primordiale ?
L’existence désormais avérée d’un vaste réservoir d’eau encapsulé par un minéral singulier à une profondeur de plusieurs centaines de kilomètres conduit, au-delà de son caractère fascinatoire, à se poser d’autres questions. À commencer par le fait de savoir d’où provient cette eau.
Deux hypothèses sont à l’heure actuelle envisagées. La première défend l’idée d’une provenance associée au processus de subduction de la croûte océanique, lequel entraînerait de façon cyclique l’eau des océans dans les entrailles de la Terre.
La seconde défend l’idée qu’il s’agirait d’une eau primordiale : soit l’eau apportée sur Terre par accrétion de météorites – ces corps rocheux qui seraient responsables de la présence de cette matière si abondante sur notre planète (voire à ce sujet notre article sur l’enjeu vital de bien s’hydrater).
Seule l’analyse des rapports des isotopes de l’hydrogène piégé dans les minéraux hydratés de ringwoodite, en les comparant ensuite aux rapports isotopiques des météorites ou à ceux de la surface, permettrait de trancher entre l’une ou l’autre hypothèse.
Rappelons ici qu’un isotope constitue une variante d’un atome : il possède le même nombre d’électrons et de protons (pour rester neutre), mais il inclut un nombre différent de neutrons. Ainsi, l’atome d’hydrogène possède trois isotopes : l’hydrogène classique (0 neutron), le deutérium (1 neutron) et le tritium (2 neutrons).
Si l’eau correspond à une donnée de surface, l’hypothèse d’un phénomène de subduction serait privilégiée, à l’inverse d’une donnée coïncidant avec l’isotope des minéraux contenus dans les météorites.
4 Un système hydrique planétaire plus complexe
Plus encore, la taille impressionnante de ce réservoir d’eau caché suggère, pour certains géologues, un récit alternatif à l’origine de l’eau sur Terre : celle-ci proviendrait possiblement non de l’impact de comètes (qui est la théorie actuellement en vigueur), mais d’un perpétuel et lent suintement depuis les profondeurs du globe.
Au-delà de la question de l’origine de l’eau sur notre planète, l’existence de cet océan souterrain jouerait, sur un plan plus concret, un rôle décisif en maintenant la taille des océans de surface – en restant connecté à ceux-ci. Car le fait est que leur taille n’a pratiquement pas varié depuis des millions d’années. Pour Tinqting Gu tout du moins, ce sixième océan (qui n’a encore reçu aucun nom) serait la clef d’un cycle hydrique profond, de nature cruciale, qui toucherait au fonctionnement même de la géologie planétaire.
En particulier, la présence de cette eau profonde pourrait jouer un rôle dans la distribution globale de l’eau sur Terre, et notamment influencer l’activité volcanique, le climat, ainsi que les propriétés physiques et chimiques des roches composant le manteau terrestre.
Cette perspective est également soutenue par Graham Pearson, qui suggère un lien entre cet océan et la naissance de séismes dont le foyer se situe entre 300 km et 660 km de profondeur. Ceux-ci pourraient en effet être causés par un affaiblissement hydrolytique, un processus géologique provoqué par un affaiblissement de la structure même de la roche grâce aux molécules d’eau, et pouvant causer l’effondrement de structures rocheuses profondes – jusqu’à exercer des effets directs sur l’activité tectonique des plaques.
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Comme l’évoque la citation célèbre d’Isaac Newton placée en titre de cet article, l’évolution permanente de nos connaissances à l’aune de la précision croissante de nos moyens de détection et des découvertes récentes exige une aptitude de fluidité cognitive à l’image de l’eau liquide, capable de prendre la forme de n’importe quel contenant, pour remettre en question certaines représentations appelées à devenir obsolètes.
Notamment, par extrapolation, on peut évoquer que la Terre n’est pas le seul planétoïde du système solaire à contenir une structure similaire de ringwoodite dans son manteau, capable d’encapsuler de grandes quantités d’eau dans leurs profondeurs – rappelons ici que ce métal a d’abord été identifié au sein de météorites.
Plus encore, la vision de Jules Verne d’un océan souterrain et liquide s’appliquerait en revanche à la structure d’Encelade, l’une des lunes de Saturne, à la surface de laquelle des éruptions de vapeurs d’eau ont été détectées. Celles-ci suggèrent l’existence de vastes étendues d’eau liquide abritées sous sa surface glacée, qui se situeraient à une profondeur moyenne de 30 km, en étant plus froides en surface et plus chaudes en profondeur en raison de la proximité du noyau de la lune (à l’inverse donc de nos propres océans).
Ce qui fait de cette lune un objet de convoitise pour la recherche spatiale, puisque, qui dit eau, dit possibilité de formes de vie. Et qui sait alors (soyons rêveurs) s’il n’existerait pas une civilisation sous-marine à l’insu de nos connaissances, tel le pays imaginaire d’Aquélone que décrit l’écrivain belge Paul Willems dans son roman : Le Pays noyé.