L’EXISTENCE D’UN OCÉAN CACHÉ SOUS LA CROÛTE TERRESTRE
5 février 2025
Savoir filtrer le bon grain de l’ivraie…
Les filtres à charbon actif sont-ils si efficaces pour arrêter les PFAS ?
Les PFAS contaminent tout notre environnement, y compris les sources d’eau auxquelles nous nous abreuvons. Et ce même dans des zones éloignées de toute forme d’industrie ou d’agriculture. Nous renvoyons sur ce sujet à notre article qui dresse un portrait général de la problématique (le scandale des polluants éternels).
Il y a donc un enjeu décisif à pouvoir proposer une filtration efficace qui réponde à ce problème. Et parmi le panel (relativement limité) de solutions qui existent, les filtres à charbon actif constituent à ce jour l’une des solutions les plus prometteuses, à la fois en termes de coût et d’accessibilité.
Nombre d’articles scientifiques étayent en effet l’intérêt de l’adsorption, qui est le mécanisme à l’œuvre dans les filtres à charbon actif, pour arrêter les PFAS. Mais à quel point ces filtres sont-ils efficaces contre les PFAS ?
Sur ce point, il s’agit de ne pas accorder foi aveuglément à certains discours marketing qui affirment obtenir des rendements prodigieux – comme Culligan qui prétend que sa gamme de filtres de base arrête 97,5% des PFAS. Or, ce chiffre s’avère une rodomontade quand on le compare aux 50%, voire 60%, avancés avec circonspection par les experts de ce sujet.
De fait, il est tentant de se saisir de l’opportunité de la menace des PFAS pour s’imposer sur ce marché en plein essor sans se soucier d’un discours qui rende justice à une réalité complexe. D’autant que la recherche sur cette vaste famille de composés est encore balbutiante, ce qui rend difficile de trier le bon grain de l’ivraie en regard de tout ce dont Internet regorge.
Ainsi, loin de simplement fustiger les affirmations ronflantes de concurrents, l’objet de cet article est de partager et de vulgariser les raisons pour lesquelles l’efficacité des filtres à charbon actif est loin d’équivaloir celle des filtres utilisant une résine échangeuse d’ions ou des systèmes d’osmose inverse.
À cet égard, nous devons beaucoup au laboratoire Edytem de l’université de Savoie Mont-Blanc avec lequel nous avons eu la chance d’échanger. Mais aussi aux autres laboratoires avec lesquels nous collaborons pour évaluer l’efficacité de nouveaux prototypes de filtres pour arrêter les PFAS.
1 Quand les pourcentages mentent par omission
Tout d’abord, il faut rappeler que les mathématiques constituent un langage. À ce titre, indépendamment de la rigueur de leurs démonstrations, elles sont assujetties à la logique des imaginaires. Or, ceux-ci tendent à créer un écart entre la perception de la réalité et la réalité elle-même.
Ainsi, il faut prendre en considération que les chiffres (en particulier dans les sondages) peuvent participer d’une logique de manipulation. En particulier, la grandeur des pourcentages induit des effets symboliques : 90% paraît une grandeur écrasante, et 10% une grandeur marginale.
Mais la valeur d’un pourcentage dépend avant tout de ce à quoi il est associé : 90% ou 10% de quelque chose.
L’exemple le plus marquant est la proportion de l’eau dans le corps humain. En effet, on dit qu’en moyenne le corps est composé de 65% d’eau ; mais on oublie de préciser que c’est un pourcentage en masse.
Or, si l’on évalue la proportion de l’eau non en masse mais en nombre (le rapport du nombre de molécules d’eau par rapport à toutes les autres molécules), on obtient cette fois 99% d’eau.
Réciproquement, dire qu’un filtre arrête 97,5% de PFAS n’a qu’une valeur performative tant que l’on ignore ce que ce pourcentage décrit :
- s’agit-il de 97,5% d’un microgramme ?
- ou 97,5% d’un gramme ?
Car il est plus facile d’obtenir un pourcentage élevé à partir de quantités astronomiques. Or, réciproquement, les 2,5% qui restent sont bien plus menaçants si cela concerne un gramme qu’un microgramme…
Cette imprécision est tout aussi valable pour 97,5% que pour 60%. Or, cette marge d’incertitude que l’on retrouve dans les publications scientifiques sur l’efficacité des filtres contre les PFAS découle du flou qui les accompagne. Le fait est qu’aucune ne suit les mêmes protocoles ni les mêmes paramètres : le nombre de PFAS de départ, leurs types, la qualité d’eau initiale, etc.
2 Quand il est facile de mettre tous les PFAS dans le même panier
L’omission la plus fréquente dans les pourcentages attribués à l’efficacité des filtres anti-PFAS concerne les types de ces composés chimiques. Cette famille contient 11 800 éléments différents recensés – et sans doute davantage encore selon des recherches récentes sur leurs matrices. Or, seule une vingtaine est aujourd’hui surveillée, et parmi cette vingtaine, seuls ceux à chaînes longues sont prioritairement étudiés.
Ainsi, on distingue parmi l’ensemble des PFAS :
- ceux à chaînes courtes (qui contiennent jusqu’à 7 atomes de carbone dans leur structure)
- et ceux à chaînes longues (qui peuvent contenir un nombre indéterminé d’atomes de carbone).
C’est une distinction loin d’être négligeable alors que la longueur de leur chaîne influe de façon décisive l’efficacité de leur adsorption dans les filtres actuels.
Plus précisément, la longueur de la chaîne des PFAS est associée au paramètre chimique de « diffusion », lequel décrit la capacité des molécules à se faufiler en échappant aux sites de piégeage des matériaux adsorbants.
Ainsi, plus la structure d’un PFAS est légère, plus ce dernier a tendance à échapper aux mécanismes d’adsorption du charbon actif, à l’inverse des PFAS à la structure plus massive.
À cela s’ajoute un mécanisme de compétition entre eux. Souvent, on trouve dans les échantillons d’eau un mélange de PFAS à chaînes courtes et de PFAS à chaînes longues. Or, les surfaces adsorbantes vont privilégier les PFAS à chaînes longues en vertu d’interactions hydrophobes plus fortes – quitte à relâcher les PFAS à chaînes courtes déjà piégés.
Ainsi, il est plus facile d’obtenir des résultats favorables en se focalisant sur les PFAS à chaînes longues. Ce que fait pour une part Ovibar, qui illustre l’efficacité de ses filtres en se concentrant sur 6 PFAS, dont 4 à chaînes longues – à l’exclusion des 14 autres qui restent à surveiller.
Par ailleurs, l’efficacité qu’il démontre est liée à la quantité importante de PFAS en amont : de l’ordre du microgramme. Soit des quantités beaucoup plus massives que celles que l’on trouve généralement dans l’eau du réseau – en faveur de l’accès à des pourcentages plus valorisant.
3 Le cas particulier du TFA
On peut aborder ici l’acide trifluoro-acétique (TFA), qui est un PFAS à chaîne ultra-courte. Si bien que sa taille infime le rend volatile et, à ce titre, presque indestructible.
Actuellement, il ne fait pas partie de ceux à surveiller, mais il est pratiquement omniprésent et à des taux éminemment élevés, ainsi que le révèle une étude réalisée par Eurofins. Ces taux vont jusqu’à plusieurs microgrammes par litre, soit plusieurs fois la limite pour la somme totale de tous les PFAS (soit 500 ng/L).
Cette prédominance s’explique par le fait que certains pesticides ou adjuvants de pesticides largement utilisés sont eux-mêmes des PFAS et se décomposent en TFA. En outre, plus la chaîne carbonée d’un PFAS est courte et plus sa solubilité dans l’eau augmente.
En plus de son potentiel agressif (rappelons que TFA est un acide 100 000 fois plus puissant que l’acide acétique), il est un élément que le charbon actif s’avère incapable d’arrêter. Une chance à cet égard pour les vendeurs de solutions parfaites qu’il ne fasse pas partie de ceux que l’on ne doive pas encore surveiller…
Cependant, on pourrait objecter que les PFAS à chaînes courtes sont a priori moins toxiques que ceux à chaînes longues, alors qu’ils sont moins bioaccumulables dans l’organisme.
Mais, faute d’études approfondies, on reste cantonné à ce sujet à des conjectures qui pourraient recouvrir une réalité plus alarmante. Surtout lorsque l’on sait que le TFA est un métabolite de pesticide classé lui-même pour sa dangerosité sanitaire.
La prégnance du TFA, et surtout les limites des filtres exploitant le principe de l’adsorption, soulignent l’enjeu d’envisager d’autres technologies, en particulier la nanofiltration et l’osmose inverse. En effet, cette dernière constitue à ce jour le procédé le plus efficace pour arrêter les PFAS, en particulier les plus petits d’entre eux. Mais c’est aussi l’un des procédés les plus coûteux à obtenir.
4 Il y a en outre charbon actif et charbon actif…
On a fait le tour ici des éléments principaux qui incitent à entendre les pourcentages de certains fournisseurs de filtres avec prudence et à ne pas se laisser berner par leur caractère superficiellement rassurant. Mais on peut faire un pas de plus ici et aborder des éléments qui conduisent à nuancer davantage la situation.
En premier lieu, tous les filtres à charbon actif sont loin d’être identiques. D’une part, la provenance de ce matériau peut influer sur l’efficacité de l’adsorption (s’il s’agit de charbon actif à base de noix de coco, de bambou, de lignite ou de bois), de même que la teneur en iode au sein du filtre.
Ces paramètres influent la microporosité du charbon actif, en particulier celui en grain : soit la surface « Brunauer-Emmett-Teller » qui, dans la théorie du même nom, explique la relation chimique d’adsorption avec un composé.
D’autre part, le type de charbon actif – s’il est en grain ou en poudre – influe sur l’efficacité de l’adsorption des PFAS. À titre indicatif, on peut relever les éléments d’une méta-étude qui compare l’efficacité de différents filtres à base de charbon actif. Elle montre ainsi, pour le charbon actif en grain, une variabilité de :
-
71,6 à 290 mg de PFOS par gramme
-
41,3 à 120 mg de PFOA par gramme.
Alors que le charbon actif en poudre obtient des résultats plus probants :
-
560 mg de PFOS par gramme
-
de 290 à 500 mg de PFOA par gramme.
Ainsi, il apparaît que le charbon actif en poudre est bien plus efficace que le charbon actif en grain. À ceci près qu’il faut tenir compte d’un facteur limitant réciproquement la cinétique : celui de la structure serrée du charbon actif en poudre, dans la mesure où il perd en efficacité s’il s’avère trop compact.
En particulier, la thèse en chimie réalisée par Leigh-Ann Dudley tend à démontrer que les filtres à base de charbon actif de bois activé thermiquement se révèlent plus efficaces pour éliminer les PFAS que ceux à base de noix de coco, de lignite ou encore de type bitumeux. Celui-ci entraîne l’élimination de 70% de huit PFAS ciblés (présents à une concentration de 500 ng/L) après un temps de contact de 15 minutes.
5 La variable de la temporalité…
Les données de Leigh-Ann Dudley introduisent à un nouveau paramètre, généralement occulté, qui est la temporalité. Ainsi, plus longtemps un matériau adsorbant est au contact d’un soluté contenant des PFAS, plus celui-ci sera capable d’agir. Ce temps est lié au principe d’« équilibre » en chimie, qui correspond au temps de contact pour l’adsorption optimale des molécules dans un solvant.
Cet optimum est obtenu après 48h à 240h pour le charbon actif en grain, contre 2h à 4h pour le charbon actif en poudre. Cela ne signifie pas l’absence d’efficacité dans les premières secondes de contact, mais une efficacité atténuée, suivant une courbe hyperbolique dont l’asymptote correspond à l’équilibre. Aussi faudrait-il préciser, à côté du pourcentage d’efficacité des filtres, le temps de contact avec lequel ce dernier a été testé, en raison de son influence significative.
Parallèlement à la temporalité propre à l’« équilibre » chimique, il y a un autre paramètre temporel à prendre en compte, lequel concerne l’efficacité d’un filtre sur la durée. Cette donnée est mesurée par ce que l’on appelle la « percée » d’un élément. Celle-ci correspond au moment où une substance que l’on cherche à retenir réapparaît en proportion importante.
Or, le moment de « percée complète », où il n’y a plus d’adsorption à l’œuvre, varie grandement d’un PFAS à un autre : aux alentours de 11 000 litres pour ceux à chaînes courtes, alors qu’elle ne l’est pas encore pour ceux à chaînes longues (dans le cadre d’une expérience testant un centimètre de charbon actif déposé dans une colonne de 0,7 centimètre de diamètre).
À cela s’ajoute le fait que ces données peuvent varier au contact d’autres paramètres : la teneur du pH de l’eau, sa température, et la présence d’autres particules (comme des ions inorganiques). Ce sont certes des paramètres relativement inconséquents pour l’eau du réseau, en raison de sa surveillance stricte en France. Toutefois, ils peuvent faire varier incidemment le degré d’efficacité d’un filtre d’un lieu à l’autre.
6 Un protocole d’analyse délicat à manipuler
Pour compléter cette réflexion sur l’efficacité du charbon actif face aux PFAS, on peut évoquer la difficulté d’obtenir une lecture précise de ces espèces chimiques dans un échantillon.
En effet, cette dernière est obtenue par un procédé d’analyse complexe à manipuler : la spectrométrie de masse par chromatographie en phase liquide.
Il s’agit d’une technique pour identifier et quantifier la masse des molécules, laquelle s’avère particulièrement délicate pour les PFAS. Car leurs concentrations dans l’eau du réseau sont généralement très faibles : de l’ordre du nanogramme par litre.
Plus précisément, cette analyse se fait en deux étapes :
- La première consiste en une chromatographie en phase liquide, laquelle sépare les éléments que l’on recherche (les analytes de l’échantillon) à l’aide d’un solvant. Celui-ci les entraîne à travers un solide divisé (appelé phase stationnaire) placé dans une colonne chromatographique.
- La deuxième phase consiste à analyser les analytes par un détecteur de masse. La masse de chaque élément est déterminée par un procédé d’ionisation : les ions produits sont piégés, puis soumis à un procédé de fragmentation pour en déduire le poids des analytes.
À cet égard, la complexité du procédé induit une marge d’incertitude. Surtout pour les PFAS, en raison de leurs quantités infimes et de leur taille qui les rendent très difficiles à analyser. Non que l’on ne puisse accorder foi aux résultats des laboratoires spécialisés dans leur détection ; mais il n’y a pas de fiabilité absolue des résultats.
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L’efficacité des filtres à charbon actif face aux PFAS est donc à envisager sous un angle relatif. Ce que fait la littérature scientifique qui présente des résultats avec un delta souvent important (de quelques centaines à quelques milliers de milligrammes d’une espèce par gramme d’adsorbant).
C’est cette prudence dans les travaux scientifiques qui révèle que certaines valeurs proclamées sont purement gratuites. Comme l’immodeste 97,5% d’efficacité d’un filtre à charbon actif. Car rien ne permet d’attester une telle efficacité, sans aucun contexte pour l’évaluer.
Réciproquement, dans cette logique de nuancer les informations dont regorge Internet, ce texte est l’occasion de rectifier certaines affirmations de notre article sur les polluants éternels. Ce dernier en effet se concluait sur l’existence de solutions d’une « efficacité presque absolue ».
Cette affirmation n’est pas absolument erronée ; mais sa formulation exclut, pour les filtres à charbon actif, les conditions qui lui donneraient sens :
- le type de PFAS (à chaînes longues principalement)
- et les conditions dans lesquelles les systèmes de filtration seraient à leur meilleur rendement.
Sinon, le principe de filtration le plus efficace à ce jour demeure l’osmose inverse.
Pour finir, il s’agit de nuancer l’impact anxiogène que les PFAS peuvent susciter. En effet, en France, les seuils actuellement en vigueur pour les PFAS les plus dangereux demeurent très faibles. Aussi l’efficacité très relative des filtres à charbon actif contre ces substances ne doit pas signifier une mort en sursis si l’on boit l’eau du réseau…