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Les multiples embûches scientifiques de l’eau
La virulente controverse dont la « mémoire » de l’eau fait l’objet à la suite des travaux de Jacques Benveniste sur les hautes dilutions puis de Luc Montagnier ne fait que s’inscrire, d’un certain point de vue, dans la longue lignée des controverses scientifiques que le comportement ou les propriétés de cette matière – prétendument si simple pourtant – ont suscitées.
Cette histoire vient témoigner que l’eau est loin d’être ce composant si évident tel qu’on le présente à l’école, parce qu’il se trouve de façon ubiquitaire sur le globe et qu’il joue un rôle essentiel dans notre quotidien. La formule chimique H2O qui a vocation à traduire notre compréhension de cette matière n’est en réalité que l’expression d’un formalisme imprécis et dépassé, mis au point au XIXe siècle. C’est-à-dire inadéquat.
En retour, se remémorer cette histoire, sur laquelle on passe très peu de temps pour mieux valoriser à quel point notre maîtrise scientifique du monde est performante, invite à prendre un recul plutôt salvateur à l’égard d’un débat aussi brûlant que celui qui fait rage autour de la « mémoire » de l’eau.
Elle invite en particulier à davantage d’humilité quand il s’agit de s’emparer de l’argument d’autorité de ce que la science – prise comme une entité imaginaire monolithique et non comme une collectivité de points de vue où les remises en question sont force de propositions – proclame comme vérité aujourd’hui, en considérant que toute « vérité » actuelle peut s’avérer être les « mensonges » de demain.
1 L’anomalie dilatométrique de l’eau
L’exemple le plus frappant demeure la bataille qui a fait rage pendant presque 150 ans au sujet de l’anomalie dilatométrique de l’eau : le fait, aujourd’hui considéré comme une évidence, que l’eau augmente de volume en se refroidissant et en se transformant en glace – à l’origine de l’expression « geler à pierre fendre ».
Le fait est qu’il s’agit d’une propriété qui n’a rien d’évident, puisque cela signifie que chauffer de l’eau d’une température inférieure à 4° la fait se contracter au lieu de se dilater…
Or, dans la mesure où la science à vocation de formaliser des lois générales pour expliquer la logique de la réalité, il a été plus facile de nier les faits expérimentaux qui démontraient cette anomalie que d’admettre que l’eau puisse rompre avec les lois régissant les matériaux, en défendant l’idée que le froid seulement était responsable de l’éclatement des canalisations.
Le début de cette controverse remonte à Galilée. Cet homme, habitué à remettre en question les certitudes de ses contemporains, s’oppose à la vision aristotélicienne selon laquelle la glace devait nécessairement être plus froide que l’eau, en sorte qu’elle devait flotter sur l’eau en raison de sa forme. Il est ainsi le premier à postuler que la glace flotte parce que sa densité est moindre que celle de l’eau liquide.
Ce qui signifie que la glace est censée être de l’eau avec quelque chose en plus, et non de l’eau avec de la chaleur en moins – un « plus » que seule la physique quantique permet aujourd’hui d’identifier, qui est le vide (voir notre article sur la structure quantique de l’eau).
Et dans la foulée de la méthode expérimentale initiée par Galilée, la première démonstration scientifique d’un maximum de densité de l’eau liquide légèrement supérieur au point de congélation est réalisée en 1657, associé à la brutale dilatation de l’eau au passage à la congélation.
Et pourtant, il faudra attendre l’année 1805 pour que l’existence d’un maximum de densité de l’eau liquide à une température légèrement supérieure au point de congélation (3,98°) soit reconnue comme un fait.
D’une part, les physiciens répugnaient à abandonner la vision aristotélicienne du monde, si bien que le résultat de l’expérience sur le saut à la congélation a été admis dans la douleur. D’autre part, le chimiste et physicien Robert Boyle s’est avéré incapable de reproduire l’expérience en 1671, ce qui a jeté un doute profond sur cette réalité.
Il faudra ainsi attendre les expériences de Thomas Carle Hope sur la flottabilité de l’eau, qui s’est servi de deux thermomètres pour vérifier où se placent les couches du liquide en fonction de sa température – alors même que les travaux du comte de Rumford et de John Dalton sont venus confirmer les intuitions de Galilée.
Il aura fallu une longue période, ponctuée de négation de faits expérimentaux par des figures aujourd’hui auréolées pour leurs contributions scientifiques, pour admettre l’extraordinaire propriété du saut à la congélation de l’eau liquide. Alors que celle-ci est essentielle pour la vie sur notre planète, sans quoi la glace aurait dû logiquement couler au fond des lacs et des océans, en s’accumulant jusqu’à transformer toute l’eau liquide de la Terre en glace !
2 La bataille de l’écriture chimique
De tous les composés chimiques, la formule de l’eau est sans doute la plus connue avec son célèbre H2O. Si l’on est si fier de déclarer que l’eau se résume à cette notation, c’est parce qu’elle est elle-même le fruit d’une longue bataille, aujourd’hui oubliée, entre les atomistes et les équivalentistes – deux clans de physiciens formés au moment où la notion de molécule s’est imposée à la fin du XVIIIe siècle – afin de savoir comment noter sa composition.
Il faut à cet égard rappeler que l’eau ne perdit son statut d’élément indécomposable qu’entre 1781 et 1785 grâce aux efforts de Priestley, Cavendish, Lavoisier et Monge, après 2 500 ans de tradition établissant fermement son statut d’élément à part entière comme le feu ou l’air.
La démonstration qu’il s’agit d’un composé, et non d’une entité, a été un traumatisme intellectuel, qui a ensuite conduit à la question de savoir dans quelles proportions se combinent l’hydrogène et l’oxygène pour former ce corps simple et fascinant nommé l’eau.
John Dalton, dans le sillage de la loi des proportions définies établie par le chimiste Joseph Louis Proust, pose les bases de l’atomisme en proposant qu’à chaque élément chimique corresponde un type d’atome, et que tous les atomes d’un même élément soient identiques.
Cependant, il déduisit que les rapports de masse entre les composants suivaient des rapports entiers, traçant une manière de raisonner qui a perduré pendant près d’un siècle sous l’appellation de la « théorie des équivalents » – laquelle obligeait à écrire l’eau : OH…
Une théorie qui s’est heurtée aux recherches de Gay-Lussac, qui a établi en 1808, par l’analyse des volumes des gaz, qu’il fallait deux volumes d’hydrogène pour un même volume d’oxygène. Le chimiste Amedeo Avogadro a alors tenté de concilier le point de vue en volume de l’un et celui en masse de l’autre avec le concept que l’on connaît de molécules, corrigeant les valeurs établies par Dalton et aboutissant à la notation H2O.
Toutefois, Avogadro mourra dans l’indifférence générale : il faudra une cinquantaine d’années encore pour que son hypothèse soit sérieusement considérée. Il a fallu attendre la fin du XIXe siècle, avec le développement de la mécanique statistique, pour trancher la querelle qui perdurait entre atomistes et équivalentistes au profit des premiers – en particulier grâce aux travaux de Jean Perrin qui a entériné la réalité des atomes forgeant les molécules.
3 L’audace des liaisons hydrogènes
Cette notion a déjà été évoquée dans notre article consacré à la structure quantique de l’eau liquide. Celle-ci joue un rôle déterminant pour la chimie contemporaine, car elle est au fondement des anomalies constatées avec les espèces impliquant de l’hydrogène, mais aussi du fonctionnement des aspects les plus fondamentaux de la biologie :
- le repliement des protéines
- et la structuration de l’ADN.
Cependant, avant d’atteindre son statut de réalité chimique fondamentale, elle a fait l’objet d’une virulente polémique dans le milieu scientifique au début du XXe siècle. Car une fois la théorie atomique acceptée – impliquant l’usage de la constante d’Avogadro dans la chimie contemporaine –, la question de la structure des molécules devient au cœur des préoccupations des chimistes : soit l’organisation de leurs atomes constitutifs.
C’est à ce moment que l’on prend conscience que l’hydrogène provoque des anomalies par rapport au cadre en vigueur pour expliquer le comportement des autres molécules. Or, on doit à un étudiant de master, Maurice Huggins, l’hypothèse révolutionnaire de la liaison hydrogène, qui est publiée en 1920.
Celle-ci invitait à substituer aux modèles impliquant des liaisons entre molécules d’eau uniquement au niveau de l’atome d’oxygène par des liaisons où l’atome d’hydrogène jouait le rôle central.
Le grand spécialiste de l’eau de l’époque, Henry Armstrong, ne s’est pas privé d’attaquer cette hypothèse par l’usage d’une formule véhémente en parlant d’hydrogène « bigame » afin de détruire cette théorie qui le scandalisait. Et si la théorie de Maurice Huggins a été reprise dans différentes publications (sans pratiquement lui octroyer de crédit), elle n’est évoquée qu’avec répugnance jusque dans les années 1930.
On doit à Linus Carl Pauling la consécration du concept de « liaison hydrogène ». Car contrairement à ses prédécesseurs – l’illustre Armstrong tombé aujourd’hui dans un oubli complet –, Pauling maîtrisait la cristallographie et la nouvelle mécanique quantique qui a révolutionné la physique, laquelle n’excluait pas l’existence d’une liaison hydrogène de nature ionique. Et le terme fut employé à partir de 1936 – soit presque 15 ans après son hypothèse.
4 La quadrature d’un cercle (fort obstiné)
Toutefois, ce n’est pas parce que le concept de « liaison hydrogène » a fini par gagner ses lettres de noblesse – en dépit des protestations véhémentes et des attaques morales de ses contradicteurs – que la nature exacte de cette interaction entre molécules, en particulier pour l’eau, a été résolue.
Au contraire, le débat fait toujours rage, bien que de façon relativement silencieuse pour les cercles néophytes.
Celui-ci se concentre surtout entre les défenseurs de la physique classique, qui sont les fervents partisans d’une lecture électrostatique de la liaison hydrogène, et les défenseurs de la mécanique quantique, qui eux obtiennent des résultats contradictoires.
Du côté de la physique classique se trouvent les liaisons électrostatiques dites de van der Waals, lesquelles se diffractent en trois forces en fonction du type d’élément dipolaire (les forces de Keesom, de Debye ou de London).
Le problème est que ce cadre prédit que l’eau liquide, en raison de la masse ridiculement faible de la molécule H2O, devrait être un gaz, et il s’avère incapable d’expliquer l’énergie stabilisante de la liaison hydrogène – les équations aboutissant à des valeurs très loin de ce que l’on observe dans la réalité.
C’est alors qu’entre en scène la mécanique quantique avec ses outils d’analyse sophistiqués :
- l’analyse de la topologie de la densité des électrons par diffraction des rayons X
- ou encore de l’isotropie de diffusion Compton.
Or, les résultats de ces recherches démontrent que la liaison hydrogène devrait être une liaison de van der Waals, alors même que l’on physique classique a démontré qu’il s’agissait d’une impasse.
Ainsi, il faut considérer en dépit de l’aura dont bénéficie la liaison hydrogène que celle-ci fonctionne comme un deus ex machina servant moins à expliquer le fonctionnement de l’eau liquide qu’à dissimuler son caractère aussi paradoxal qu’intriguant.
D’autant plus que l’analyse des orbitales de la molécule d’eau ont montré que cette liaison violait une règle fondamentale de la chimie : le fait que les molécules se lient entre elles en prenant non les électrons de l’orbitale la plus haute, mais celle de l’orbitale inférieure ! Un phénomène unique qui met en déroute la mécanique quantique.
5 Un territoire toujours en cours d’exploration
Ce point diffère des précédents, car il s’agit moins ici d’aborder une controverse qui a semé le parcours de l’eau dans le monde scientifique que de prolonger l’idée ouverte par la question toujours irrésolue de la liaison hydrogène en montrant que l’eau est non seulement une aqua incognita pour les spécialistes, mais aussi un territoire qui est encore à explorer alors qu’il n’a pas fini de révéler tous ses secrets.
Tout récemment, une étude consacrée à la façon dont les ions et les molécules se distribuent à l’interface de l’eau salée et de l’air a bousculé les modèles établis jusque-là.
Ceux-ci dépendaient en effet d’une technique de spectroscopie vibrationnelle de sommes des fréquences qui ne permettaient pas de distinguer les signaux positifs des signaux négatifs ; ce qui a donc été corrigé par la mise au point d’une détection hétérodyne.
Cette étude a révélé l’absence d’ions au niveau de cette interface, à l’encontre du modèle établissant l’idée d’une double couche d’ions orientant les molécules d’eau. Le nouveau scénario décrit est celui d’une couche d’eau pure (ce que l’on croyait impossible à trouver sur Terre), une couche d’ions, et enfin la solution saline.
Une découverte qui peut sembler anodine mais qui a le potentiel d’améliorer significativement la conception des batteries et des systèmes de stockage d’énergie.
Dans un tout autre domaine, depuis janvier 2021 l’étude HydroCovid tente d’explorer à vaste échelle les bienfaits de l’eau hydrogénée en traitement contre l’infection au SARS-CoV-2, plus connu sous le nom de Covid-19.
L’eau hydrogénée, comme son nom l’indique, est une eau enrichie en hydrogène moléculaire, ce qui lui confère des propriétés puissamment antioxydantes. Ces propriétés antioxydantes offrent un moyen d’éviter l’emballement des réactions inflammatoires qui conduisent aux complications face au Covid-19.
De nombreux arguments précliniques et théoriques viennent étayer cette hypothèse ; mais l’étude, pour souscrire aux attentes de ce type de recherche avec un travail randomisé à vaste échelle pour obtenir des résultats statistiques significatifs, est toujours en cours de développement, malgré des résultats intermédiaires prometteurs.
Ces deux exemples ont le mérite de s’inscrire dans le cadre d’une recherche académique consensuelle s’appuyant sur une vision théorique soutenue par la majorité ; mais il existe quantité de recherches qui révèlent des comportements troublants de l’eau, en particulier autour des hautes dilutions.
Pour le lecteur curieux d’en savoir plus, nous l’invitons à consulter nos précédents articles sur la structure quantique de l’eau et la mémoire de l’eau.
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En prenant un peu de hauteur, ce qui est l’invitation de cet article, deux choses peuvent venir à l’esprit. En premier lieu, le fait que l’histoire a tendance à se répéter à la façon d’une fatalité.
Ainsi, les spécialistes qui pérorent aujourd’hui haut et fort sur le caractère scandaleux des recherches de Jacques Benveniste sur les hautes dilutions, en déterminant ce qui peut ou ne peut pas être possible, ne sont que les Henry Armstrong de notre temps – celui même qui clamait que la liaison hydrogène était une horreur inadmissible pour la chimie.
En second lieu, la bataille acharnée qui a lieu autour de ces questions entre les marginaux qui ont le courage de remettre en question les dogmes soutenus par la grande majorité n’est pas vouée à trouver du jour au lendemain sa résolution définitive, alors que la plupart des controverses se jouent sur des dizaines d’année, voire des échelles de temps de l’ordre du siècle ou au-delà – le temps qu’un saut épistémologique dans la pensée scientifique soit possible.
En retour, il faut considérer qu’il y a de l’espoir pour les travaux qui ont le courage d’aller à contre-courant des certitudes établies aujourd’hui avec dogmatisme – en particulier ceux sur la « mémoire » de l’eau, mais de façon plus large tous ceux qui élargissent nos perspectives en brisant les théories sur lesquelles nous nous appuyons pour comprendre le monde qui nous entoure – dans la mesure où ce n’est sans doute ni aujourd’hui ni demain qu’ils pourront se faire entendre, mais au moment où la science aura suffisamment mûri.
Ou pas éventuellement… Mais il appartient à l’avenir, et peut-être un avenir bien au-delà des limites de notre existence, de trancher ces questions et de savoir reconnaître que nos certitudes sont parfois toujours des croyances. Comme le formule poétiquement Shakespeare :
Si vous pouvez regarder dans les graines du temps et dire laquelle germera et laquelle ne germera pas, alors dites-le moi… (Macbeth)