CE QUE (NE) DISENT (PAS) LES CRISTAUX DE MASARU EMOTO
14 novembre 2024Aux claires fontaines trouverons-nous encore longtemps l’eau si pure ?
Le problème sans cesse croissant des polluants éternels (ou PFAS)
L’eau distribuée par le réseau, en particulier en France, demeure une eau de grande qualité en raison de sa stricte surveillance (voir à ce sujet le premier article posté dans la section Actualités). Pour autant, malheureusement, cela ne veut pas dire qu’elle est parfaitement indemne de toutes les pollutions liées notamment aux activités industrielles, devenues capables pour certaines d’impacter l’environnement de façon effrayante.
C’est en particulier l’alarme qu’a déclenchée une étude en février 2023 affichée à la une du journal Le Monde sur la présence de PFAS, surnommés les « polluants éternels », avec une carte constellée de points d’eau contaminés présentant des taux inquiétants.
Cette alarme avait provoqué des inquiétudes légitimes de la part des consommateurs, mais depuis lors entérinées par la succession des problèmes qui assombrissent sans fin nos horizons – avec l’impact de la crise sociale et économique en cours. Qu’en est-il cependant aujourd’hui ?
Alors que la question de l’écologie n’a jamais été aussi brûlante, il apparaît que celle-ci gravite essentiellement autour du changement d’objets (l’accès aux voitures électriques) ou de notions abstraites (comme l’empreinte carbone), en occultant l’aspect fondamental de la qualité de l’environnement qui, lui, touche de façon concrète à notre santé.
Cet article fait donc le point sur le problème des PFAS, qui sans doute demeure en suspens dans l’esprit de nombreuses personnes en ternissant l’image de l’eau du réseau.
Cette question nous tient d’autant plus à cœur que nous cherchons à promouvoir l’accès à une hydratation qualitative qui s’appuie sur la ressource précieuse de l’eau distribuée par le réseau. Cependant, il serait illusoire de penser que les PFAS épargnent l’eau distribuée par les minéraliers dans la mesure où cette contamination s’applique à une échelle planétaire, en sorte qu’elle ne peut, inévitablement, qu’impacter toutes les formes d’accès à l’eau.
1 Ce que cache le terme « PFAS »
L’acronyme PFAS désigne les substances per-fluoroalkylées et poly-fluoroalkylées : des noms chimiques barbares qui concernent une vaste famille de composés chimiques dont on recense, à l’heure actuelle, des milliers de variantes. Mais des études récentes à l’aide d’outils d’analyse de spectrométrie de masse à haute résolution ont révélé l’existence de nouvelles matrices, lesquelles suggèrent qu’il pourrait en exister des millions ; soit un véritable monde d’éléments dotés de propriétés spécifiques.
Ce sont plus précisément des composés organo-fluorés, c’est-à-dire des composés organiques impliquant du carbone et du fluor, d’origine synthétique. Parmi eux, on peut souligner l’existence d’un sous-groupe, les tensioactifs fluorés, dont la tête hydrophile leur permet d’abaisser efficacement la tension de la surface de l’eau.
Le fait que leur squelette chimique repose sur une liaison carbone-fluor est loin d’être un détail anodin, car c’est précisément cette liaison qui leur donne leur surnom de « polluants éternels » (en anglais, on parle de « Forever Chemicals », de produits chimiques éternels, en jouant d’un jeu de mots grinçant avec les initiales FC symbolisant le fluor et le carbone).
Cette liaison est en effet l’une des plus fortes en chimie organique, ce qui confère une « demi-vie » de ces produits dans l’environnement extrêmement longue. La « demi-vie » est le temps qu’exige une substance pour perdre la moitié de son activité pharmacologique ou physiologique.
C’est la durée en deçà de laquelle il reste plus de 50% du produit. Généralement, elle se mesure en secondes ; mais dans le cas des PFAS, pour la plupart, elle se mesure en années : jusqu’à plus de 30 ans pour certains.
En particulier, leurs propriétés antiadhésives et imperméabilisantes, par ailleurs très résistantes à la chaleur, leur ont donné de nombreux usages dans divers domaines industriels depuis les années 1950 :
- tant le revêtement des poêles (le téflon) que de certains textiles (pour les rendre imperméables)
- les emballages alimentaires
- les mousses anti-incendie
- les produits cosmétiques et phytosanitaires.
On les retrouve même au sein de la composition de l’indispensable papier toilette !
2 Une contamination à l’échelle planétaire
C’est à la fois cet usage proliférant des PFAS dans mille et un objets du quotidien et à la fois sa longévité chimique, en raison de sa lente dégradation, qui expliquent sa présence alarmante dans l’environnement, aujourd’hui ubiquitaire, à l’inverse de la représentation habituelle que l’on se forge au sujet des pollutions. Celles-ci sont souvent associées à des coordonnées locales bien délimitées, qui nous permettent de nous sentir imaginairement à l’abri.
Or, l’utilisation à vaste échelle des PFAS entraîne en réalité une contamination progressive de tous les milieux : l’eau, l’air, les sols, y compris les sédiments – d’autant que certains d’entre eux peuvent être transportés sur de longues distances, et ce jusqu’au sein des océans. C’est à ce titre que l’on parle, dans les milieux conscients de leur écotoxicité, de l’un des pires scandales sanitaires.
Certains s’accumulent notamment dans les organismes vivants – tant les plantes que les animaux – en contaminant ainsi toute la chaîne alimentaire. Aussi aujourd’hui, à l’aune de la façon dont on a répandu les PFAS indûment dans l’environnement depuis les années 1950, il faut considérer qu’aucun territoire ni être vivant sur Terre n’y échappent. À titre indicatif, on a retrouvé des traces de ces substances dans les ours blancs du pôle Nord…
Ainsi, sans surprise, on les retrouve dans le sang de la population humaine, et les propriétés de persistance, de mobilité et d’accumulation des PFAS font croître indéfiniment le risque de cette exposition avec le temps. Selon l’EFSA (European Food Safety Authority), les aliments et éléments qui contribuent le plus à leur exposition actuellement sont :
- les produits de la mer, les œufs et les viandes
- mais aussi désormais l’eau destinée à la consommation humaine
- les poussières et les sols contaminés.
Cet impact a donc conduit 250 scientifiques à signer la déclaration de Madrid de 2014 appelant à surveiller et à stopper la diffusion des PFAS dans l’environnement. Un combat loin d’être gagné quand on sait qu’une nouvelle famille de ces composés, les fluoropolymères, prennent un essor inquiétant en raison de leur présence dans l’informatique et les batteries des véhicules électriques (qui sont le bras armé de la transition écologique…).
3 Les risques pour la santé
En quoi les PFAS nous concernent-ils, au-delà du fait que cette contamination semble échapper à tout contrôle ? Sur ce point, on peut vite être embrouillé alors que les autorités sanitaires s’abritent de façon évasive derrière des risques « insuffisamment caractérisés scientifiquement » (selon les propres termes de l’ARS).
Il est vrai qu’ils sont tellement nombreux qu’identifier leur toxicologie exacte pour chacun d’eux représente un travail de titan. Mais les travaux s’accumulent depuis les années 2000 aux sujets de certains d’entre eux, et leurs effets délétères pour l’être humain (comme pour de nombreux êtres vivants) sont désormais bien avérés :
- cancers
- augmentation du taux de cholestérol
- effets toxiques sur des organes clefs comme le foie et les reins
- effets sur la fertilité et sur le développement du fœtus
- interférence sur le système endocrinien et le système immunitaire…
Il y a aussi une hypocrisie de la recherche à ce sujet, hypocrisie liée aux enjeux financiers liés à la production des PFAS. Il a fallu attendre décembre 2023 pour que le Centre International de Recherche sur le Cancer classifie le PFOA (un composant clef du téflon de nos poêles) comme substance cancérigène alors que grâce au combat de l’avocat Robert Billott contre le géant industriel DuPont et son omerta sur l’usage des PFAS, des milliers de documents internes ont été transmis révélant des preuves formelles de son extrême toxicité depuis bien avant.
Le premier signal d’alerte a été en effet émis en 1961 par un toxicologue étudiant leur nocivité sur des rats, lequel a été relayé ensuite par deux études en 1970 et 1979 qui ont montré des dommages cellulaires irréversibles sur des chiens suite à une ingestion de quelques milligrammes.
Une décennie plus tard, des employées des usines DuPont donnent naissance à des enfants malformés : un lien de cause à effet est établi aussitôt par des analyses en laboratoire.
Ce qui rend l’histoire accablante est le fait qu’il faudra attendre 1991 pour que le premier article scientifique établissant un risque pour la santé soit rendu public… Mais la longueur du procès contre DuPont (et d’autres industriels à sa suite comme 3M et Chemours utilisant foison de PFAS) n’a conduit à reconnaître leurs torts qu’en 2005, puis à interdire le PFOS qu’en 2008 et finalement le PFOA qu’en 2020.
4 Des investigations inquiétantes en France
Étant donné l’omerta des grandes entreprises responsables de l’usage et de la dispersion des PFAS en grande quantité, les autorités sanitaires (en France notamment) n’ont pris conscience de la gravité de la situation qu’assez récemment, avec une certaine brutalité.
Il faudra donc attendre le 1er janvier 2026 pour que les collectivités (communes et syndicats intercommunaux) se voient dans l’obligation de tester l’eau du robinet pour détecter la présence de 20 de ces polluants.
Pourquoi cependant attendre deux ans ? C’est la question que s’est posée la cellule d’investigation de Radio France, qui a réalisé 89 prélèvements sur toute la métropole en avril de cette année, analysés par le Laboratoire Ianesco agréé pour la détection des PFAS dans les échantillons d’eau.
Les résultats sont alarmants pour nombre d’entre eux, puisque près de la moitié des échantillons révèlent des PFAS en sortie de robinet.
27 d’entre eux en particulier en présentent qui sont classés comme cancérigènes, dont cinq à des niveaux préoccupants : à Auxerre, Lille, Saint-Jean-de-Losne, Saint-Vit et Déols (des niveaux qui ne seraient pas tolérés dans des pays comme le Danemark ou les États-Unis, aux législations plus strictes).
Trois autres cependant dépassent la limite française : l’inquiétant record est détenu par la ville de Cognac (avec 187 ng/L, soit presque le double de ce qu’autorise le seuil réglementaire en vigueur), ce qui n’est pas sans faire écho au fait que l’ARS, ce mois de juillet dernier, a évoqué le risque d’une contamination de la nappe phréatique locale par les PFAS.
Les deux autres points alarmants sont Martres-Tolosane (avec un taux de 100,2 ng/L) et Saint-Symphorien-d’Ozon (avec un taux de 119,2 ng/L).
On ne peut que s’étonner de la frilosité de notre pays à effectuer d’ores et déjà des contrôles pour alerter si besoin les usagers d’un péril pour leur santé, tant à l’aune du nombre de PFAS encore utilisés à grande échelle qu’en regard du rapport réalisé par le programme national de biosurveillance Esteban, mis à jour en 2020, qui a montré leur imprégnation dans la population française, y compris dans le sang des enfants.
5 La question des seuils de toxicité
De nombreux scientifiques et diverses administrations appellent depuis quelques temps à réglementer et à surveiller l’impact de ces polluants éternels ; mais la question qui se pose est celle du seuil d’exposition maximum à fixer. Or, rappelons ici que les normes de potabilité dépendent des législations de chaque pays et peuvent varier de façon significative (voir à ce sujet notre reportage sur le cycle de l’eau).
C’est ce qui explique en partie le flou qui peut entourer la question de la dangerosité de cette pollution, alors que certains organismes, comme l’ARS en France, privilégient un discours plutôt lénifiant sur le sujet. Et même si les seuils sont dépassés, elle considère que les habitants peuvent continuer à boire l’eau du réseau puisque :
Plus précisément, la norme française au sujet de la présence de PFAS dans l’eau du réseau – posant un seuil de tolérance de 20ng/L pour ceux caractérisés comme cancérigènes – n’est censée s’appliquer qu’à partir du 1er janvier 2026…
Et cette norme future semble déjà obsolète lorsqu’on la compare aux décisions d’autres pays européens, notamment la Suède qui a fait le choix de fixer un seuil de tolérance de 2ng/L déterminé par les recherches sur le sujet.
Or, il faut savoir que la décision de ce seuil, prise par des responsables politiques, est fondée non seulement sur la connaissance de leurs effets sur la santé, mais aussi sur le coût qu’implique de dépolluer l’eau en cas de contamination.
Toutefois, la France pourrait rattraper ce retard alors qu’un groupe de travail d’une quinzaine de chercheurs épluche en ce moment toutes les études publiées récemment pour revoir nos valeurs toxicologiques.
Cependant, lorsque l’on voit la position de l’ARS au sujet de la présence de PFAS dans l’eau destinée à la consommation, on peut s’interroger sur le sens de fixer un seuil pour ne rien proposer si celui-ci se révèle dépassé. Et sur ce point, chacun se renvoie la balle, alors que la Direction Générale de la Santé explique qu’il appartient :
- aux préfets d’adopter des mesures contraignantes selon les cas
- et aux élus d’informer les habitants des dépassements.
6 La fin de notre civilisation ?
Ce titre un peu provocateur fait écho à l’un de nos précédents articles consacré à l’effondrement de la ville Maya de Tikal, que des travaux scientifiques attribuent pour une part importante à un problème de contamination de ses réservoirs d’eau. Ce destin servait en effet de trame pour établir un parallèle hypothétique avec la possibilité de la fin de notre propre civilisation.
Or, il semble que la réalité en rattrape le caractère hypothétique à l’aune de la dimension problématique des PFAS et de leur durée de vie. D’autant que de nombreuses techniques de purification de l’eau sont impuissantes à les éliminer : que ce soit la filtration micronique, l’ultrafiltration, la floculation, l’oxydation par lumière ultra-violette, par le biais du dioxyde de chlore, l’ozone ou le permanganate, et d’autres encore.
Est-ce à dire que nous sommes au bord d’une catastrophe écologique qui signerait une fin de notre monde irréversible, à la façon d’une apocalypse biblique, silencieuse et lente ?
Si cet article a vocation à alerter sur la menace réelle que font peser les PFAS, pour autant il est faux de dire qu’il n’y a aucune solution pour y faire face, au-delà d’un durcissement des législations encore à venir – comme l’interdiction définitive de ces substances.
En particulier, on peut évoquer le pouvoir d’adsorption du charbon actif (la capacité à lier des éléments en raison de leur polarité négative) en association avec un échangeur d’ions qui permet d’éliminer tous les PFAS d’un échantillon d’eau, et au-delà le potentiel prometteur d’un matériau comme le graphène.
On peut aussi évoquer la nanofiltration et l’osmose inverse, qui sont toutes des solutions que nous sommes en mesure de proposer parmi notre gamme d’outils de filtration.
Toutefois, il faut garder à l’esprit que ces polluants ne sont pas détruits, mais seulement déplacés : à l’heure actuelle, les détruire passe par un procédé d’incinération à haute température. Certains de ces traitements ne sont toutefois pas appropriés à traiter de grandes quantités d’eau – ni par ailleurs des sédiments – et pour cette raison ils restent des solutions dans lesquelles les consommateurs doivent investir individuellement.
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Pour le consommateur qui lit ces lignes pourrait émerger le sentiment d’être pris entre Charybde et Scylla entre :
- s’abreuver à l’eau du réseau peuplée de PFAS et d’autres substances toxiques, dont les taux tendent en certaines régions à s’accroître de façon alarmante
- ou sinon s’abreuver à l’eau conditionnée en bouteilles en plastique, dont l’impact environnemental est un problème écologique majeur (on peut rappeler ici la France est malheureusement l’un des pays d’Europe qui en consomme le plus)
Mais il s’agit d’une vision tronquée qui repose sur l’idée que l’eau minérale en bouteille serait épargnée par la pollution aux PFAS. Or, il n’en est rien : dans un récent rapport publié par le réseau ONG Pan Europe, ce collectif alerte sur la présence d’acide trifluoroacétique (un acide 100 000 fois plus puissant que l’acide acétique et largement utilisé en chimie organique) dans une grande proportion d’eaux en bouteille.
Un autre rapport relayé par France Info évoque également la présence de PFAS dans des eaux minérales commercialisées par Nestlé : Hépar, Vittel, Contrex et Perrier. Ce qui s’avère somme toute logique en vertu du caractère ubiquitaire de cette pollution.
Ce qui ne signifie pas pour autant que l’on est destiné à adopter une forme de fatalisme devant une situation inextricable. Au contraire, l’enjeu est de savoir opter pour des solutions qui permettent de préserver au mieux sa santé ; ce qui justement n’est possible que par l’accès à une information précise.
Si la réputation de l’eau du réseau est la première à être entachée par le scandale des PFAS, il faut garder à l’esprit que de la recherche appliquée est mise en œuvre pour se prémunir de leur présence, en particulier avec la mise au point d’une nouvelle génération de filtres à base de graphène et des échangeurs d’ions qui permettent de fixer avec une efficacité presque absolue tous les PFAS dans un échantillon d’eau.
À défaut alors de pouvoir continuer indéfiniment à se raccrocher à l’idée que l’eau potable à laquelle on peut s’abreuver est aussi pure qu’on le rêve, il est toutefois possible d’investir dans des moyens de se préserver au profit d’une plus grande qualité de vie.