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Écologie et gaspillage de l’eau
Les changements climatiques que l’on observe et qui suscitent aujourd’hui une prise de conscience de plus en plus inquiète de notre relation à l’environnement, touchent entre autres à l’accès à l’eau et à la répartition des flux de cette ressource protéiforme à travers le monde.
En retour, la question du gaspillage de l’eau en France est devenue préoccupante, en relation avec les restrictions de son usage en cas de stress hydrique lors de périodes estivales, lesquelles peuvent induire l’idée d’une pénurie. Cependant, il suffit de poser certaines questions concrètes (comme le nombre de tonnes d’eau tombées dans un jardin lors d’un orage ou le nombre de centimètres d’eau qui s’évapore d’un lac en été) pour voir l’emprise de représentations imaginaires parfois loin de ce que décrivent les données factuelles.
Ces représentations imaginaires sont, comme le montrent les sciences humaines, naturelles : l’être humain ne s’empare de son environnement que par le biais de filtres intégrés le plus souvent à son insu. Dans un contexte alarmant, elles peuvent cependant induire des jugements qui s’avèrent déconnectés de la réalité, et par extension induire des choix pas forcément adaptés.
Il n’est pas possible de faire le tour exhaustif d’une telle question dans l’espace imparti à cet article ; l’enjeu est donc ici de tracer des éléments concrets et factuels pour éclairer plus précisément la question des flux d’eau et de leur potentiel, notamment dans une perspective d’actions aptes à préserver au mieux nos ressources.
1. La menace de la raréfaction de l’eau
Qui dit gaspillage d’une matière suppose sa raréfaction, le plus souvent problématique. Les épisodes récents de sécheresse en France ont ainsi conduit, avec les restrictions touchant à l’usage de l’eau, à répandre l’idée d’une raréfaction possible et inquiétante de l’eau – de plus en plus couramment admise.
Ce qui est faux. Ou plutôt, ce qui n’est vrai qu’à une échelle locale et non à l’échelle planétaire. Car si de l’eau a tendance à être éjectée dans l’espace intersidéral au cours du temps, ces quantités restent infimes ; suffisamment pour déclarer que l’eau sur Terre est restée pratiquement dans les mêmes quantités que depuis l’ère Secondaire – lors de laquelle les dinosaures régnaient en maîtres – et ce malgré les changements de climat.
En revanche, si l’eau ne se raréfie pas à l’échelle du globe, elle se répartit de façon inéquitable sur sa surface. Cet équilibre implique que l’intensification des épisodes de sécheresse dans un coin du monde signifie en retour une intensification des précipitations (et corollairement des inondations) en un autre point. Une perspective étayée en particulier dans la série documentaire : H2O. L’eau, la vie et nous.
Par ailleurs, il faut prendre en considération que la France est un pays privilégié en termes d’accès à l’eau. Aussi, la mise en péril de cette ressource est essentiellement liée non à l’effet d’une sécheresse grandissante, mais à la répartition de son usage entre les secteurs de production. L’accroissement de l’économie implique en effet un besoin toujours plus important de consommer de l’eau, et donc sa répartition toujours plus délicate, en particulier en situation de stress hydrique.
À cela s’ajoute le fait que les nappes phréatiques ne sont pas toutes assujetties aux mêmes temporalités les unes les autres : les variations de leur niveau dépendent du temps d’infiltration de l’eau à travers les sols, lequel peut s’étendre sur des périodes de mille ans. En sorte que les variations rencontrées par ces nappes sont l’expression d’événements climatiques d’une toute autre époque que la nôtre – et qu’il est délicat, par extension, d’appliquer un discours généralisant quant au comportement des nappes phréatiques.
2. La question du « gaspillage » de l’eau
Comprendre que l’eau est une matière polymorphe qui navigue à travers le globe sous différents états – ce que l’on nomme le cycle de l’eau – invite à interroger de plus près la notion de « gaspillage » de l’eau. Peut-on en effet gaspiller cette matière si elle ne cesse de se métamorphoser et ainsi de revenir par un biais ou un autre à son état initial au terme de ce cycle ?
À la différence des hydrocarbures dont nous dépendons pour nous déplacer, nous chauffer et nous développer industriellement – et dont les réserves peuvent, éventuellement, s’épuiser à force de les brûler –, on mesure que l’eau n’est pas assujettie aux mêmes problèmes de quantité limitée.
Pour autant, cela ne signifie pas que le gaspillage de l’eau n’a aucun sens. Tout d’abord, le cycle de l’eau est assujetti à une certaine temporalité ainsi qu’aux conditions climatiques qui déterminent sa répartition sur la surface du globe. Aussi, consommer indûment nos réserves lors d’un épisode de sécheresse peut nous conduire à traverser une période compliquée en attendant les pluies prochaines…
Mais il faut mesurer également que toutes les eaux n’ont pas la même qualité. Notre planète est avant tout une planète d’eau salée ; or ce qui nous intéresse est surtout l’eau douce, qui ne représente que 2,8% du volume global de l’eau sur Terre.
Dans ce faible pourcentage, il faut retirer les glaces et les neiges permanentes ; si bien que l’eau douce disponible ne représente que 0,7% du volume total d’eau sur la planète.
C’est cette mesure – le fait que l’homme ne peut utiliser que moins de 1% de l’eau douce – qui détermine si l’on gaspille ou non de l’eau : c’est-à-dire si la répartition de ses usages permet de préserver pour chacun un accès équitable à cette ressource, en particulier pour l’eau potable.
De ce point de vue, si un usage domestique comme tirer une chasse d’eau (chaque cuvette engloutit en moyenne 30 à 40 litres d’eau potable par jour) ne réduit pas la quantité d’eau sur Terre, en revanche il s’agit d’une pratique qui ne tend pas à la préserver.
Et il faut mesurer que certains usages comme les lessives tendent à en corrompre inexorablement la qualité en regard du nombre de produits de synthèse dans les textiles qui ne sont ni ciblés ni traités par les stations d’épuration.
3. Les usages questionnant de l’eau
Ce que l’on désigne par « gaspillage » de l’eau touche de façon plus large à l’écologie, c’est-à-dire à nos pratiques qui altèrent par manipulations ou traitements nos ressources naturelles, soit en les rendant toxiques pour l’environnement, soit en défigurant la beauté du monde par dommage collatéral.
Si les pratiques individuelles sont particulièrement visées dans le discours politique – la « sobriété » de mise aujourd’hui ciblant surtout nos comportements quotidiens –, leur impact est cependant lié aux politiques industrielles mises en place en amont et souvent beaucoup moins questionnées. Or, s’il est bien des usages questionnant de l’eau, c’est à l’échelle industrielle qu’on les trouve, elle spectaculaire.
Les changements climatiques sont notamment le prétexte pour investir dans des véhicules électriques afin de réduire nos émissions de CO2. Toutefois, la fabrication d’une batterie d’une petite voiture électrique exige la consommation d’eau de 500 personnes par an en France.
Plus largement, l’industrie minière sur laquelle toute notre civilisation technologique repose exige de phénoménales quantités d’eau, qu’elle pollue en retour massivement et sans traitement adéquat.
On peut également questionner la distribution massive d’eau minérale conditionnée dans des bouteilles en plastique, surtout lorsque l’on sait que le procédé de fabrication de chacune de ces bouteilles nécessite trois fois la quantité d’eau qu’elles peuvent contenir.
Le but ici n’est pas de critiquer le choix d’investir dans une voiture électrique ou dans de l’eau minérale, mais de souligner la décohérence entre les enjeux écologiques – qui réclament des actes individuels de plus en plus responsables – et les symboles d’écologie promus – qui eux s’inscrivent dans une logique de dépense de l’eau souvent prodigieusement inquiétante.
4. « Être l’homme de pluie et l’enfant du beau temps »[1]
En contrepoint des perspectives qui brossent un portrait alarmant de notre activité industrielle dévorante et sans réelles entraves, il est possible d’exploiter des ressources abondantes en eau qui sont, en France, à portée de main. Alors que les effets angoissants des sécheresses associent au beau temps un indice de menace, pour autant le blason de la pluie n’a pas été redoré.
Et pourtant, on pourrait s’inspirer d’un proverbe de Malaisie selon lequel « le temps chaud d’une année est effacé par la pluie d’un seul jour », à condition de mesurer à quel point la pluie peut être une ressource privilégiée pour faire face à l’espacement des précipitations dans certaines régions.
Nous nous appuierons ici sur les données fournies par Météo France, qui détermine l’intensité des précipitations en millimètres par unité de temps :
- une pluie faible et continue représente 1 à 3 mm par heure
- une pluie modérée 4 à 7 mm par heure
- une pluie forte 8 mm et plus par heure.
Or, 1 millimètre d’eau représente un volume d’un litre d’eau par mètre carré.
En considérant la surface d’un toit de 100 m2, qui représente une surface d’un toit de 10 m par 10 m, il apparaît alors qu’une pluie modérée où il est tombé 5 mm d’eau représente un volume d’eau tombé sur la surface du toit de 500 litres d’eau – soit une demi-tonne d’eau.
Pour un jardin d’un hectare, c’est donc 50 tonnes d’eau qui tombent littéralement du ciel !
Si l’on prend les données du site Eau France, il est estimé en moyenne que les régions où il pleut le moins reçoivent 500 mm d’eau par an. Ce qui fait pour ce même toit une quantité prodigieuse de 50 000 litres d’eau par an ; soit 50 m3. Une véritable manne même pour les régions les plus touchées par la sécheresse. Pour les régions les plus pluvieuses où il tombe en moyenne 2 000 mm d’eau, cela représente 200 m3.
Ces données offrent de considérer les possibilités pour lutter contre les effets de sécheresse qui affectent certaines régions, à condition de s’équiper de réservoirs qui viendraient récolter une fraction des volumes qui s’abattent lors d’une pluie. Et de ne pas céder à des représentations apocalyptiques qui dessinent un visage exsangue de ces régions d’ici quelques années.
[1] René Char, Le marteau sans maître.
5. Ô lac, suspend ta fuite… !
Dans cette perspective de questionner les représentations concernant la résilience ou la dilapidation de l’eau à disposition, on peut aller plus loin avec un exemple fictif et sciemment provocateur.
Quel aurait été l’impact d’une opération consistant à mobiliser 30 camions citernes pour puiser l’eau du lac du Bourget – qui est le plus grand lac naturel de France – pendant les deux mois de juillet et août afin de pouvoir aux besoins en arrosage ?
Indépendamment de l’impact carbone, on imagine les crispations qu’aurait sans doute provoquées cette opération en activant l’inquiétude d’une baisse alarmante du niveau du lac à force de puiser de façon inconsidérée dedans. Mais dans les faits, de combien de mètres serait-il descendu ?
En utilisant des véhicules capables de stocker une trentaine de mètres cubes d’eau, cela représente une ponction d’environ 1 000 m3 d’eau par jour ; soit 62 000 m3 pour toute la période estivale – en partant du principe que l’opération se déroule même le dimanche et les jours fériés.
Rapporté à la surface du lac du Bourget de 44,5 km2, cela représente un impact de 1,39 mm par rapport à sa hauteur initiale. Une variation bien plus faible que les 132,6 mm en juillet et 143,3 mm en août (275,9 mm pour les deux mois) d’évapotranspiration « potentielle » naturelle, qui sont de l’ordre de la douzaine de millions de mètres cubes d’eau – un calcul qui est basé sur des valeurs moyennes, puisque l’évapotranspiration « réelle » est une donnée impossible à mesurer à l’échelle d’une parcelle ou d’une région.
Loin évidemment de promouvoir une telle solution pour faire face au stress hydrique, l’objectif à travers cet exemple est de mettre en balance la force d’un effet naturel de nature invisible – l’évaporation de l’eau n’est pas un phénomène spectaculaire, à moins que le niveau de l’eau ne baisse significativement – avec le déploiement de 30 camions citernes pendant deux mois, de l’ordre de la démonstration de force.
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Malgré la prétention du discours scientifique à être le garant de vérités indiscutables, la littérature et la philosophie ont démontré depuis longtemps qu’il n’y a aucune neutralité dans notre rapport au réel et que celui-ci est tissé d’imaginaires – c’est-à-dire de réseaux d’images associées à des valeurs qui dépendent à la fois de nos croyances et des informations à notre disposition.
Les questions écologiques sont inévitablement prises dans nos structures imaginaires ; non pas qu’elles ne sont pas importantes, mais elles sont éminemment polarisées par des implicites culturels et cognitifs. Si bien que nous redoutons de puiser de l’eau d’un lac immense pour le préserver, mais que nous ne questionnons pas la nécessité d’investir dans des technologies dites vertes, dont l’impact écologique va s’avérer certainement plus désastreux que les bienfaits qui en découlent.
Au terme de cette réflexion, on peut souligner que la plupart de nos biais cognitifs sont déterminés par le caractère visible ou invisible des phénomènes. Il est en effet plus facile de s’émouvoir de ce que nous remarquons que de ce qui s’opère de façon souterraine, malgré des différences de mesure spectaculaires.
Pouvoir adopter un regard pondéré à rebours de nos représentations – que nous nous créons de façon spontanée pour donner sens au monde qui nous entoure – évite d’être manipulé à partir d’images effrayantes ou révoltantes, surtout lorsque ces images s’avèrent éloignées de la réalité.